Les déviances psychologiques rencontrées au tango

Avertissements et mises au point : Ce texte se veut humoristique, plutôt sarcastique sans être vraiment méchant, même s'il puise son inspiration dans des cas réels. Je n'aime pas coller des étiquettes ou ranger les gens dans des petites cases, il s'agit ici d'archétypes théoriques et chaque personne peut appartenir à différentes catégories à différents moments et à des degrés divers. Et, pour rappel, une déviance n'est pas forcément négative. Certaines déviances ont trait à la danse, d'autres à des comportements sociaux dans le milieu du tango.
Par facilité d'écriture, la plupart de ce qui ne doit pas être écrit strictement au féminin sera écrit au masculin. Ceci n'exclut pas que, dans ce texte, beaucoup de choses peuvent se rapporter aux deux genres.


Lors de mes premières milongas, j'ai eu l'impression d'un monde féérique où tout le monde était bien comme il faut, tout ça. 2016 fut une année de merde à bien des égards, et ces temps-ci, bien que ça dépende d'un endroit à l'autre, j'ai souvent l'impression d'évoluer dans une sorte d'asile psychiatrique... Comme la population se renouvelle régulièrement, cela n'est probablement que passager. Ou bien alors c'est moi qui cesse petit à petit de me sentir un peu en décalage pour voir le monde entier comme un asile psychiatrique, expériences à l'appui.

  1. Les stars : Peuvent s'inclure dans cette catégorie toutes personnes qui acquièrent une certaine popularité et s'en sentent investies d'une nouvelle importance et d'un nouvel ego. D'autres le prendront avec beaucoup de recul, ceux-là ne sont qu'à moitié concernés par cette déviance. Les uns comme les autres pourront vous donner la même impression de ne pas vous prêter d'attention. Il ne faut pas forcément le prendre pour du snobisme. Quand vous êtes juste un danseur discret, débutant etc. et que vous n'avez qu'un nombre limité de personnes à saluer en arrivant à la milonga, il est facile d'être pleinement attentif à chacun. Quand c'est la salle entière que vous devriez théoriquement saluer ou qui veut vous parler, pour éventuellement chacun raconter la même chose, ça peut devenir difficile à suivre. Il faut déjà retenir des dizaines de prénoms, tenir le compte de qui on a déjà salué ou pas... et il arrive de se tromper. Sans compter qu'on ne peut pas saluer n'importe qui n'importe quand car les gens dansent, discutent, s'absentent, ...
  2. Le Karate Kid et le bulldozer : Lui, il guide sa partenaire comme un catcheur. Celle-ci est généralement contente si elle a pu rester debout jusqu'à la fin de la tanda, idem pour les danseurs qui sont passés à côté de lui. Si on lui fait une remarque, il dira que c'est parce qu'il danse "nuevo".
    Il ne faut pas confondre le Karate Kid et le style "tango ninja". Un style de tango très moderne pratiqué à Berlin par au moins deux danseurs.
  3. Le DJ : Pas forcément la personne qui passe la musique, mais je me permets d'en faire ici une catégorie car, pour avoir entendu de nombreuses discussions entre DJs, pour être aussi encyclopédiquement cultivé, pointilleux et méticuleux dans le choix d'une playlist de si vieux machins, il faut quand même être à fond dedans et avoir un grain ... Ceci étant dit de façon tout à fait respectueuse.
  4. Le vrai milongero authentique : Lui il sait comment tout le monde devrait danser. Avec un abrazzo serré à s'en noyer dans la transpiration, uniquement sur les temps forts, dans des vieux cafés, avec un chapeau, tout ça tout ça. "Comme on dansait au début du vingtième siècle." Tout ce qui est venu après Carlos Gardel n'est que blasphème et iconoclasme. Ne lui parlez surtout pas de Chicho ! Sauf que, si vous avez déjà vu de très vieilles vidéos de tango (comme ça par exemple: https://www.youtube.com/watch?v=Uc_NxwzkHEQ ), personne ne danse exactement comme ça. Alors, je me pose des questions ...
  5. Le Rambo ou le boxeur : Réagit avec violence verbale et d'éventuelles allusions à la force physique à la moindre contrariété. Clairement, les altercations physiques concrètes sont extrêmement rare au tango, en trois ans j'en ai aperçu une et entendu parler d'une autre. Mon appareil photo a aussi été menacé deux fois mais c'était par des danseurs allemands à Berlin. N'empêche que quand vous croisez un Rambo en action, ça pose toujours une certaine "ambiance".
  6. Le chasseur de femmes : C'est en général quelqu'un de très très très gentil et bien élevé, mais uniquement avec les femmes. Si vous n'êtes pas une femme et que vous tentez de lui dire bonjour, il est possible qu'il vous fasse oublier jusqu'à votre propre existence l'espace d'un instant. À moins bien sûr que vous n'ayez la chance de faire partie de l'entourage d'une des femmes qu'il convoite, auquel cas il daignera peut-être vous faire l'honneur de vous adresser la parole. Mais la plupart du temps ça ne vaut pas la peine car il n'a quand même rien d'intéressant à vous raconter.
  7. L'ingénieur : L'ingénierie, en gros, c'est l'application optimale des théories scientifiques. L'ingénieur au tango cherche à optimiser sa partenaire, partout, tout le temps. Ça part d'une bonne intention et ça peut très bien marcher si la partenaire partage ce profil. Personnellement, tant que les critiques restent objectives et constructives, ça me dérange peu (bien que ça ne se fasse pas sur la piste). Mais la majorité des gens je crois n'aime pas être corrigée par quelqu'un d'autre que les profs.
  8. Le yo-yo ou la montagne russe émotionnelle : Le manipulateur, le psychopathe, le sociopathe, le narcissique, le lunatique... En fait ce profil fourre-tout, vous le trouverez partout, il n'est pas spécifique au tango mais je trouve qu'il y en a une recrudescence ces derniers temps. C'est le genre de personne qui vous accueille avec un grand sourire, puis vous casse d'une façon ou d'une autre, puis vous sourit à nouveau. C'est un peu déstabilisant car vous ne pouvez pas toujours être certain de la dimension de la réalité dans laquelle vous vous trouvez avec cette personne à tel moment mais elle vous fera certainement penser que c'est vous qui êtes en tort. Le truc, c'est surtout de savoir l'esquiver à ce moment-là, mais cela peut demander un certain entraînement.
  9. L'ingénieur néophyte : Lui, il est comme l'ingénieur, sauf qu'il n'a encore fait que trois semaines de tango. Vous avez peut-être dix ans dans les jambes, mais il va quand même trouver qu'il a quelque chose à vous apprendre. C'est mignon. Attention, il peut arriver cependant qu'il n'ait pas tout à fait tort quant à certains détails.
  10. Celui qui s'apprête à partir pour Buenos Aires : Il semble que fin 2016, début 2017, la moitié de la population du tango à Bruxelles aura planifié un voyage de plus ou moins longue durée vers cette destination, il y en a même qui parlent de ne pas en revenir et de devenir maestros... Oui oui! ... J'ai moi-même longtemps estimé ce pèlerinage tanguero comme très cliché et probablement rempli d'attrapes-touristes. Une sorte de Disney Land du tango, un peu comme Disney Land est le pélerinage des parents qui n'ont pas le temps de s'occuper de leurs enfants le reste du temps (j'écris vraiment n'importe quoi là mais ça sonne bien). La faute à quelques argentins je crois. Récemment, certains m'ont plus ou moins convaincu qu'il y a plus que ça, qu'il est possible d'y trouver des cours et des événements d'une qualité qu'on ne trouve pas forcément ailleurs. Je suppose que les deux réalités coexistent et qu'il s'agit de trouver les bonnes adresses. Toutefois, avec tous les "contretemps" de mon parcours dans le tango, je n'en suis pas à une étape telle que je penserais pouvoir en profiter pleinement, c'est pourquoi je n'y pense même pas. En plus il paraît pour que la photographie là-bas c'est ... "très différent de Bruxelles".
  11. Celui qui vient de rentrer de Buenos Aires : Il faut lui laisser un peu de temps pour redescendre sur Terre. Là-bas il a généralement enchaîné les cours et les milongas non-stop. Il en a peut-être même oublié de manger. Ici il doit replonger dans le quotidien des métros qui puent, des collègues qui ne comprennent pas qu'on puisse ne pas être du matin, des milongas et des danseurs locaux etc. Sans parler du décalage horaire ni de l'opposition des saisons.
  12. Le photographe : Le photographe au tango a un grain, un peu comme le DJ, c'est certain. Toutefois, ma position m'empêche d'émettre un avis impartial sur ce profil. Je vais voir si je peux obtenir de l'aide de l'un(e) ou l'autre spécialiste en milongas.
    ... bon, je n'ai trouvé personne, je vais essayer de faire un effort d'abstraction, comme si j'étais une autre personne.
    Le photographe au tango est complètement taré parce qu'il dépense des fortunes dans son matériel pour prendre des photos de danseurs même pas forcément connus, puis il passe plein de temps à les sélectionner et les travailler en détail et en grand format alors que de toute façon la plupart des gens vont les regarder sur un appareil mobile sur lequel même un timbre postal aurait des allures de chef-d'œuvre grandeur nature. Et puis ça fait "clic clic" et moi je ne supporte pas de voir l'objectif qui me photographie, mais j'ai une copine qui, à l'inverse, adore être photographiée à condition de voir l'objectif, ce qui fait qu'au final on n'est jamais contents. En plus, après, il croit que ses photos lui appartiennent, alors qu'il y a des gens dessus ! Vous vous rendez compte ! Et puis, il croit que les photographes sont utiles juste parce que des gens aiment ça et parce que des pro utilisent ses photos pour faire leur promo en coupant sa signature sans son accord et puis il réclame comme un gros égoïste que c'est pas juste. Il devrait juste être heureux de partager son travail et ensuite l'oublier et la fermer.
    (En réalité, oui, ses photos lui appartiennent avec quelques subtilités: "When tango photography is taken for granted", seulement en anglais.)
    Mais les pires de tous, ce sont quand même ceux qui font en même temps de la photographie et de la vidéo ...
  13. Le danseur trop avancé pour danser avec toi : La plupart du temps, il a un bac+8 en tango ou il est au minimum en train de finir son doctorat, et il a investi dans son apprentissage et sa pratique des montants plus ou moins comparables à ceux que le photographe peut dépenser en matériel photographique. Bien souvent il est allé à Buenos Aires et il s'est passé là-bas des choses magiques que j'ai encore du mal à expliquer. Il est probable qu'à une époque ou une autre il a envisagé de donner des cours de tango, il en a peut-être vraiment donné d'ailleurs mais il est probable aussi que cela n'ait pas été suffisant pour changer de vie au final. Si c'est un homme, c'est simple, il lui suffit de ne pas t'inviter à danser. Si c'est une femme et que tu l'invites à danser, la tradition veut qu'elle te dise qu'elle a mal aux jambes. Cela n'est pas forcément faux, mais cela ne l'empêchera pas d'accepter quand même l'invitation d'un autre danseur bien plus avancé que toi, ou bien c'est quelqu'un sur qui elle fantasme.
  14. Le panda : Il s'agit d'un cas très particulier rencontré lorsqu'une peluche en forme de panda se prend pour un danseur de tango.
  15. Les clans : La première règle pour faire partie d'un clan, c'est de faire partie du clan. Il s'agit ici de groupes d'individus, de castes supérieures internes au tango, souvent décrit comme élitiste. Ce qui les fait bien rigoler d'ailleurs: "L'élite de quoi ?"
    Plus sérieusement, je crois que la vraie source du problème vient de différences dans les attentes quant à une milonga et à la danse elle-même. Différences souvent en corrélation avec l'âge mais aussi au style de danse. Ceux qui se retrouvent minoritaires à un événement donné se sentent exclus. Je pense qu'une piste de solution serait que les DJs parviennent à s'adapter aux attentes d'un public à un autre et que les milongas annoncent leur style de prédilection, ou le style du DJ invité à telle date. Mais, c'est une approche qui mène à des divisions, la meilleure solution serait encore que le public parviennent à apprécier différentes saveurs de tango. Ce qui est très facile à dire pour quelqu'un comme moi qui n'ai à peu près aucune musicalité, enfin si, mais pas une musicalité de danseur.
  16. Le marathonien : Je n'ai pas envie de décrire ni de commenter le phénomène (européen?) des marathons de tango. Mais, le marathonien, c'est un danseur qui aime tellement ça qu'on ne le voit quasiment plus dans les milongas locales. C'est tout.
  17. Le gentil : Lui il est super gentil, avec tout le monde. Tellement que les gens trouvent ça louche, mais en réalité ça ne l'est pas, il est juste comme ça. c'est ça qui est chouette.
  18. Le Bisounours : Comme le précédent, mais en plus il pense que tout est beau et que tout le monde est gentil. Finalement, si tout le monde était un gentil Bisounours, le monde serait mieux.

C'est un peu naïf comme conclusion mais c'est pas grave, je vais arrêter là quand même.


TC, Décembre 2016-Janvier 2017
Modifié le 20 janvier 2017